
Qu’est-ce que Tu me dis aujourd’hui, dans Ta Parole ?
Tu as nous donné la vie, Tu étais là, heureux, aux noces de Cana, Tu nous as
donné nos 5 sens, l’eau en abondance, le vin, les parfums, la musique, la harpe,
les festins de viandes de veau et d’agneau, le repos, les lits, les divans, les
vêtements, la pourpre et le lin, la sécurité sur la montagne et derrière notre
portail… ça dérape à un moment… et on ne s’en rend même pas compte.
Tu nous dis aujourd’hui, et je le reçois en pleine figure : « Bande de vautrés ! »
par la voix du prophète Amos, et « Vous êtes moins que des chiens » par la voix
de St Luc dans l’Evangile, « les chiens, eux, venaient lécher les plaies de
Lazare », ils ont davantage de compassion que toi !
Tu exagères, je ne suis quand même pas comme ça ? Pas à ce point-là ? Je
creuse l’écart ?
Toi d’un côté, comme le dit St Paul, « lumière inaccessible », « qui possède
l’immortalité », qui possède la seule véritable richesse, la vie éternelle,
Et moi de l’autre côté du précipice, qui me suis enfermée sur moi-même ?
ça gratte, ça dérange,
Pourtant il est encore temps, c’est maintenant, c’est aujourd’hui « Debout ! »,
« Combats » ! Il n’est pas trop tard.
On ne comprend que trop bien, au fond de nous, que « l’homme ne vit pas
seulement de pain », que « l’amour implique d’immenses dérangements ».
(Dag Hammarskjöld, luthérien, prix Nobel de la paix 1961).
Toi, Tu n’es pas un juge sans pitié, Tu es Douceur, Tu m’appelles « mon
enfant » par la voix d’Abraham, c’est Toi qui m’attires, Tu reviens me chercher,
Tu ne veux pas mon malheur, Tu veux mon bonheur, le vrai, pas le superficiel.
Quand Tu me regardes, c’est avec un regard d’amour. Comme il est dit dans
l’Evangile de Marc (10, 21) : « Jésus le regarda et l’aima ».
Car ce qui est en cause ici, ce n’est pas la richesse mais le regard.
Lazare voit le riche se vautrer dirait le prophète Amos, profiter de la vie dirions-
nous aujourd’hui.
Le riche, lui ne voit pas Lazare.
Il n’est pas au séjour des morts pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il n’a pas
fait. N’est-ce pas ce que notre catéchisme appelle le péché par omission ?
Donc, l’un voit, l’autre ne voit rien, mais tous deux meurent. Un point partout,
égalité parfaite.
Sauf que l’histoire est renversée, comme souvent avec Jésus.
Celui qui ne disait rien, qui ne bougeait pas (il gisait), qui était couvert d’ulcères
comme Job sur son fumier, celui-ci est emporté par les anges auprès
d’Abraham. Où il ne dit toujours rien.
Celui qui parle, c’est l’autre, le riche qui n’a pas de nom, en proie à la torture au
séjour des morts.
Là, pour la première fois, il VOIT Lazare.
Mais il ne lui parle pas, il s’adresse à Abraham.
Il continue de donner des ordres.
Comme s’il voyait sans vraiment regarder.
Parce que voir et regarder, ce n’est pas tout à fait pareil. Jésus ne dit-il pas, en
rappelant les mots de Jérémie ou d’Ezéchiel : « Vous avez des yeux, ne voyez-
vous pas ? Vous avez des oreilles, n’entendez-vous pas ? » (Marc 8,18)
Ouvrir les yeux, ouvrir les oreilles.
Etre à l’écoute de la Parole, c’est à travers elle que Dieu nous secourt, qu’il
nous aide, qu’il nous aime. Que nous arrivions à dire comme l’enfant Samuel :
« Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ».
L’histoire du riche et de Lazare, les interlocuteurs de Jésus la connaissaient
déjà. Elle venait d’une histoire racontée en Egypte où il était question d’un
mauvais riche et d’un pauvre vertueux.
Mais ici, rien ne dit que Lazare soit vertueux, on sait seulement qu’il est aidé
par Dieu comme son nom l’indique (« Dieu aide »).
Rien ne dit non plus que le riche soit mauvais ; la richesse n’est pas présentée
comme une mauvaise chose. D’ailleurs Abraham, tellement présent dans
l’histoire, était riche « en troupeaux, en argent et en or » (Gen 13, 2) et en
« êtres qu’il entretenait » c’est-à dire en serviteurs (Gen 12, 5).
Même si – parenthèse – le riche vêtu de pourpre et de lin fin comme l’étaient
les prêtres du Temple à l’époque de Jésus, m’a évoqué la pompe ayant entouré
la réouverture de Notre-Dame… Me viennent alors en tête les mots d’un
évêque brésilien mort il y a quelques années, Pedro Casaldaliga : « Je rêve
d’une Eglise vêtue seulement de l’Evangile et de sandales. »
Fermons la parenthèse…
Abraham est cité sept fois dans le texte. En additionnant les autres
protagonistes, le riche, ses cinq frères, Lazare, nous trouvons encore le chiffre
sept. Chiffre parfait, dans la symbolique biblique. A quelle perfection sommes-
nous appelés ?
Nous sommes héritiers d’Abraham, celui qui a bougé, qui n’est pas resté
statique, qui est parti sur une simple promesse. Nous sommes héritiers de
cette promesse.
Nous sommes héritiers de Moïse, celui qui a cru à l’Alliance.
Nous sommes héritiers de Jésus, le Ressuscité avec qui nous avons part dès
maintenant à la vie éternelle.
Abraham le dit deux fois : écouter Moïse et les prophètes, c’est le meilleur
moyen de rester éveillé, ouvert à la fraternité, en état de conversion
perpétuelle. Comment ne pas penser à Isaïe au chapitre 58 : partager ton pain
avec l’affamé, héberger le sans-abri, vêtir celui qui est nu, ne pas se dérober
devant celui qui est ta propre chair. C’est exactement cela, la fraternité. Ne
jamais s’accoutumer, rester toujours indigné, ulcéré, intranquille et agir en
conséquence.
La semaine dernière, dans l’émission de télévision La Grande Librairie, le
romancier et journaliste Sorj Chalandon racontait qu’ayant quitté sa famille à
l’âge de 16 ans, il avait vécu à Paris dans la rue pendant une année. Un SDF. Il
disait que ce dont il avait le plus souffert, ce n’était pas le froid ou la faim mais
l’indifférence des gens. On ne le voyait pas, il était invisible.
Et nous, qu’est-ce que nous oublions (ou évitons) de regarder ? Qu’est-ce nous
ne voyons pas ?
Cette histoire de riche et de Lazare racontée par Luc est une histoire pour nous,
une histoire de choix de vie, pour nous qui vivons dès aujourd’hui la vie
éternelle.
Comme Timothée, à qui Paul dit de « s’emparer de la vie éternelle » en
« gardant le commandement du Seigneur ».
Le commandement du Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je
vous ai aimés » : quelle phrase admirable et merveilleuse !
L’évangile d’aujourd’hui m’interpelle au plus profond de ma foi : L’écoute, le
partage, l’amour du prochain.
C’est cet appel de Dieu que j’ai reçu et qui me nourrit dans ma vie spirituelle.
Souvent nous nous posons cette question : que pouvons-nous faire dans le
monde dans lequel nous vivons ? On se sent démuni et impuissant, mais Jésus
ne nous demande pas de sauver le monde, juste de vivre notre vie chrétienne
là où nous nous trouvons.
C’est à travers nos familles, nos amis, les gens que nous côtoyons tous les jours
que nous pouvons vivre notre vie de chrétien, une vie de partage d’écoute et
d’amour. Alors oui, nous pouvons beaucoup, je le crois profondément.
Avoir de l’argent, être riche ne devrait pas être un souci, mais la question est de
reconnaitre que je suis un privilégié, et comment j’utilise cette richesse à la fois
pécuniaire et intérieure autour de moi.
J’ai toujours eu beaucoup de mal à avoir une relation directe avec Dieu, c’est à
travers les hommes que je vois Dieu, moi j’ai besoin d’un relais, je suis
intimement persuadé que nous sommes tous une parcelle de Dieu, en tous les
cas j’aime me le dire.
Dieu ne nous demande qu’une seule chose d’aimer, d’aimer, d’aimer encore et
toujours.
Michel Quoist, qui était un prêtre ouvrier du Havre, disait cette phrase que je
n’ai jamais oubliée depuis plus de 50 ans :
« A chaque fois que tu aimes, tu portes témoignage à l’Amour
Silencieusement tu annonces Jésus-Christ
Un jour il faudra dire aux autres Que l’amour est Quelqu’un ».