Au temps de Jésus, la personne atteinte de la lèpre subissait une double peine : elle était exclue de la société car la maladie était contagieuse, mais elle était aussi excommuniée car elle était vue comme punie par Dieu. En effet, la lèpre ravageait la peau, rongeait les membres et était horrible à voir c’est pourquoi le malade devait non seulement vivre hors des villes mais aussi cacher son visage et crier « impur » quand il croisait quelqu’un sur un chemin. Dans ce récit de l’évangile nous avons une double transgression de la Loi : le lépreux s’approche de Jésus et ce dernier non seulement lui parle mais aussi le touche. Une constante de l’évangile : la vie de l’homme prime sur toute loi et toute règle !
Jésus franchit une frontière, il ne tient plus compte de la prescription « pur-impur », il établit le dialogue avec le malade. Jésus ne craint pas la contamination, il ose la parole et le geste, il rétablit la relation entre les malades, la société et la religion. De quel droit ? La réponse est dans le texte : il agit au nom de Dieu. L’ancien lépreux doit se montrer au prêtre pour que celui-ci certifie la guérison et constate l’œuvre de Dieu. « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc 19, 10)
Peut-être nous sentons-nous loin de cet épisode de la vie de Jésus. La lèpre a presque disparue grâce à la médecine, mais nous savons que de nombreux cancers aujourd’hui sont impitoyables. La prière ne les guérit pas forcément, mais elle peut aider à les vivre et à les supporter. Pourtant ce texte est d’une actualité pressante si nous le comprenons comme une invitation de Jésus à franchir quelques frontières. Notre société dresse des murs d’exclusion, par exemple les quotas migratoires, notre Église aussi, avec la question actuelle de la bénédiction des couples « en situation irrégulière ». Bien sûr qu’il faut des lois et des règles pour que nous puissions vivre en société, en fraternité et en paix, mais quand la vie de centaines de migrants est en danger sur la Méditerranée ou la Manche, ne faut-il pas les transgresser pour qu’ils soient sauvés et vivent ? Bien sûr que notre Église a raison de défendre le sacrement du mariage, mais quand dans nos sociétés occidentales, un mariage sur deux ne tient pas, a-t-elle raison d’exclure de la communion les couples de divorcés-remariés chrétiens ? Bien que notre Église tienne au mariage hétérosexuel, peut-elle marginaliser les couples chrétiens homosexuels ? Le pape François dit non et vient de permettre la bénédiction de ces couples en situation « irrégulière ». Il ouvre une voie en rappelant que Dieu aime tous les hommes et les femmes et qu’ils ont besoin de la bénédiction de Dieu pour conformer leur vie à l’évangile. A chaque pasteur de faire en sorte que ces bénédictions soient vécues dans la foi et soient bien distinctes du sacrement de mariage.
Franchir les frontières n’est pas simple. Nous vivons dans une société et une Église où nous sommes appelés à vivre la fraternité avec tous. Parfois, il faut aller à contre-courant : quand des chrétiens de Briançon portent secours à des migrants épuisés venant d’Italie par la montagne, pouvons-nous être contre ? Quand des chrétiens de Calais apportent nourriture et soins à des migrants tentant d’aller en Angleterre, pouvons-nous être contre ? Quand des divorcés remariés chrétiens, demandent que leur amour et leur couple soit béni, pouvons-nous être contre ? Bien sûr, la même chose pour les couples homosexuels chrétiens. Jésus franchit des frontières sociales, morales et religieuses pour sauver et permettre la vie. A nous de faire de même quand cela se présente à nous.
Père Jean COURTES